MATTHIEU GALEY
La critique comme un des beaux-arts
Qu’il savait être féroce ! Critique littéraire redoutable et redouté de « L’Express », Matthieu Galey (1934-1986) n’avait pas son pareil pour trousser en quelques mots le portrait de ses pairs, croquant leurs ridicules avec une ironie cinglante. Mais ses innombrables articles, et surtout son œuvre majeure -les deux tomes de son « Journal »- ne se réduisent pas au bonheur de traits incisifs sur le petit monde germanopratin de l’édition.
C’est une vaste fresque du monde littéraire et artistique, et donc un document irremplaçable, que Matthieu Galey a brossé dans son journal. Côtoyant pendant près de 30 ans « l’intelligentsia », il en rapporte certes les foisonnantes intrigues et coteries, mais il pointe surtout avec une précision d’entomologiste ce qui fait l’essence de la littérature : la genèse des œuvres, leurs influences, l’originalité d’un style, les doutes et difficultés d’écriture d’un auteur…
La liste de ses rencontres et des amitiés qu’il noua est impressionnante. Vertigineuse même : Matthieu Galey connaît tout le monde. Ce qui lui permet d’analyser lucidement les grands auteurs de référence en leur « crépuscule des dieux » (Paul Morand, Marcel Jouhandeau, Jacques Chardonne, Marguerite Yourcenar, Aragon etc.). Mais aussi de détecter l’arrivée au grand galop de hussards pas toujours bleus ni sur le toit : la jeune génération des Nimier, Blondin, Déon, Nourrissier… Le critique littéraire ne doit-il pas être « celui qui voit se profiler le talent avant les autres » ?
Celui de Matthieu Galey avait forme de déesse hindoue. Un talent prolifique et protéiforme : outre sa riche carrière de critique littéraire, il a été nègre de Maurice Druon dans sa jeunesse, chroniqueur passionné du « Masque et la Plume », critique de théâtre aux « Nouvelles Littéraires » et à « Combat », adaptateur de pièces (Tennessee Williams, Edward Albee, Peter Shaffer)…
Dans le deuxième tome de son Journal, on note une foule de notations sur le Beaucet, où Matthieu Galey avait acheté en 1974 une maison au coeur du village, et où il séjournait le plus possible. Il aimait le calme pour travailler, la beauté des paysages, et le passé qui y affleure. « Dans la fenêtre de ma chambre, petite, carrée, s’encadre un charmant paysage de collines, aujourd’hui très vert, surmonté d’un ciel nuagé tumultueux qu’illumine le couchant, un ciel XIX°. Un ciel peut-il être XIX° ? Et pourtant c’est cela, très précisément ».
(Les deux tomes du "Journal" de Matthieu Galey, édités à l’origine chez Grasset, ont été réédités en février 2017 dans la collection "Bouquins" de Robert Laffont. Une plaque, apposée sur la façade de sa maison rue Coste-Chaude, évoque sa mémoire).